28eme Festival International
direction : Jean Loup Passek - organisation-programme : Prune Engler, Sylvie Pras
du Film de La Rochelle
16, rue Saint Sabin, 75011 Paris - tél. : 01.48.06.16.66 - Fax : 01.48.06.15.40
e-mail : festival.de.la.rochelle@wanadoo.fr

 

 P R É F A C E


D'UN SIÈCLE L'AUTRE

Woody Allen prétendait il y a peu que « tout le monde dit I love you ». Il incluait donc dans sa malicieuse prescience les pirates de l'informatique. Drôle d'époque où la cyberculture envahit les esprits quand elle ne les tétanise pas, drôle d'époque où la révolution du numérique est à nos portes (guillotinera-t-elle non pas le cinéma en lui-même mais notre façon d'appréhender les films et très certainement nos habitudes de spectateurs, c'est une évidence). Drôle d'époque où chaque gouvernement et chaque responsable économique se laisse tenter sinon séduire par la mondialisation, la loi impitoyable du fric, négligeant au passage les injustices sociales et les dysfonctionnements des systèmes basés sur une belle utopie nommée Liberté, Égalité, Fraternité et dans le même temps retrouve bien calfeutré dans un recoin de la mémoire collective assez d'enthousiasme (médiatisation aidant, donc hypocrisie aidant) pour vibrer au combat de David contre Goliath, prenant parti pour le supposé plus faible contre le supposé plus fort. On aura compris que j'évoque l'« odyssée » des joueurs de football de Calais, combattant vaillamment (« c'est la lutte finale ») contre les professionnels de Nantes en apothéose de la Coupe de France. Puisque j'ai abordé une comparaison footballistique, il ne me déplairait pas qu'un festival comme celui de La Rochelle puisse être comparé à un club d'amateurs (qu'on souhaite bien sûr très éclairés) luttant depuis vingt huit ans maintenant pour une certaine idée du cinéma avec des moyens financiers que je qualifierais pour ne pas trop jouer les pleureuses de circonstance, de modestes mais avec (et j'emploierai si vous me le permettez un terme galvaudé par les chroniqueurs sportifs) un « coeur gros comme ça ».

L'important, à l'orée de ce siècle nouveau où la une des journaux fait le lit des ambitions des uns tout en feignant deux lignes plus loin de s'apitoyer sur la misère des autres, est de ne pas s'illusionner sur le devenir des choses tout en protégeant son potentiel d'enthousiasme personnel des virus extérieurs. Connaissant la vanité des modes et la versatilité du public, on essaiera de cultiver son jardin secret, c'est à dire sa vraie personnalité et évitant d'ajouter un clone à un clone et un spectateur à Taxi 2 qui n'a vraiment pas besoin de nous pour étaler un peu plus au grand jour son jeunisme mercantile, son racisme larvé et son ode à la ferraille rugissante.

À propos de ce film, dont l'heureux producteur était cette année président du jury cannois, on notera l'art avec lequel les dirigeants du plus célèbre festival du monde pratiquent le yoyo. L'an passé, Cronenberg couronnait Rosetta, un (excellent) pavé dans la mare. Cette année, sans doute pour faire contrepoids, on nomme Luc Besson, l'homme qui fait parler Jeanne d'Arc en anglais, ordonnateur (ordinateur?) de la sélection officielle de Cannes. Amusante ironie des choses : le festival de Cannes 2000 était un grand cru et Luc Besson s'est très habilement sorti du piège où d'affreux critiques intellos le voyaient à l'avance s'embourber en couronnant une brochette de films de qualité dont aucun ne venaient ni des Etats-Unis ni de la France (et dont plusieurs se retrouvent au menu de La Rochelle).

Le Festival de La Rochelle, le répétera-t-on jamais assez, n'a jamais changé de ligne de conduite depuis 28 ans, essayant de faire partager à des spectateurs de plus en plus nombreux ce dilettantisme et cette soif de curiosité qui ont toujours été sa seule et unique profession de foi.

J'ai toujours pensé que l'une des fonctions essentielles du cinéma était de garder mémoire et de transmettre aux générations futures le portrait vivant d'une époque donnée, progressivement avalée par le temps, métamorphosée, sujette à mille changements politiques, économiques (mais aussi psychologiques et oniriques) et qu'il fallait pour ce faire juxtaposer les films anciens et les nouveautés de façon à comparer, à apprendre, à réfléchir, trois occupations de l'esprit qui me paraissent plus enrichissantes que de savoir qui va remporter la Rose d'or ou le Sapin d'argent.

Arrêtons de prendre des vessies pour des lanternes et de croire que le dernier film dont on parle (en même temps, la même semaine, dans tous les médias pratiquant la décalcomanie publicitaire la plus tapageuse) est l'oeuvre - clef du 7e art.

Vous retrouverez donc cette année à La Rochelle les trois sélections habituelles qui tentent de jeter un pont entre le passé (les rétrospectives), le présent (les hommages) et le futur (les films qui composent la section du Monde tel qu'il est, et qui se veulent à la fois le reflet de l'air du temps et un pari sur le devenir de certains jeunes - ou moins jeunes - réalisateurs).

Petite parenthèse sur l'engouement justifié de certains ouvriers de la onzième heure concernant les films asiatiques. On aimerait parfois que ces thuriféraires subitement enamourés aient la mémoire un peu plus longue. S'ils avaient fréquenté depuis plus de vingt ans les festivals de La Rochelle et de Nantes (pour n'en citer que deux), s'ils avaient assisté aux rétrospectives du Centre Pompidou et de la Cinémathèque Française, s'ils avaient mieux soutenu le travail de fourmi de certains distributeurs indépendants qui se battent pour imposer dans un circuit commercial des films chinois, indiens, japonais, coréens ou taïwanais, ils n'écriraient pas des sottises du genre « Le festival de Cannes introduit enfin en France le cinéma asiatique ».

Le festival de La Rochelle 2000 sera donc fidèle au mélange des genres, un mélange qui risque d'être plus détonant que les années précédentes. Aligner la belle star allemande Brigitte Helm aux attitudes hiératiques et fières au côté de l'un des grands maîtres du cinéma arri& ricain, ce William Wyler qui suscita de ce côtà-ci de l'Atlantique de joyeuses polémiques (on se souvient du « À bas Ford, vive Wyler » d'André Bazin) réunir Arrabal et Jodorowsky, deux trublions sulfureux de l'ordre établi, de la bienséance, du cartésianisme et du conformisme bien pensant avec quatre réalisateurs en plein devenir, le portugais Grilo, l'italien Soldini, le russe Chakhnazarov et la française Danièle Dubroux, s'égarer à la découverte d'une des plus belles cinématographies du monde (mais loin d'être la moins imaginative), celle de l'Islande, et inviter les spectateurs à la ronde infernale du monde tel qu'il est où l'on découvrira de petites merveilles picorées dans des pays aussi différents que l'Inde, l'Allemagne, la Grande Bretagne, Taïwan, l'Italie, la République Tchèque, l'Iran, le Brésil, le Mexique, la Suède, la Grèce, la Hongrie, la Pologne, la Norvège, l'Espagne, le Portugal et la France tel est le menu auquel nous vous convions pour fêter ensemble les joies du plaisir et de la connaissance.

Jean Loup Passek

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